Quel avenir pour la Petite Ceinture? Retour sur la soirée spéciale municipales 2026
Le 10 décembre 2025, les Promeneurs de la Petite Ceinture organisaient en partenariat avec le média Enlarge Your Paris une soirée consacrée à l’avenir de la Petite Ceinture au TLM (19e). Cette rencontre s’inscrivait dans un moment particulier : le lancement de la campagne municipale parisienne et la montée en puissance du débat sur les usages de cette emprise de 32 km, propriété de la SNCF et faisant l’objet, pour son aménagement, d’une convention avec la Ville de Paris. Deux tables rondes successives ont réuni experts, associations et représentants politiques pour confronter analyses, expériences et engagements dans un moment important pour la fabrique de Paris.
Depuis dix ans, la Petite Ceinture est devenue un symbole de la manière de concevoir les espaces urbains dans un contexte de réchauffement climatique : ouverture progressive à la promenade, valorisation d’un corridor écologique, implantation de tiers-lieux, montée des revendications citoyennes pour une ville plus respirable. Et dans le même temps, la Petite Ceinture condense les tensions contemporaines sur l’espace urbain : gouvernance, patrimoine, droit d’usage, cohabitation de la « nature » et des activités humaines.
L’objectif de la soirée était double :
prendre la mesure et documenter les enjeux à travers des regards scientifiques, associatifs et de praticiens ;
entendre les engagements de représentant-es des listes candidates aux municipales.
Table ronde 1 – « La Petite Ceinture aujourd’hui : regards croisés »
Animée par Vianney Delourme, co-fondateur et président d’Enlarge Your Paris, la première table visait à éclairer les enjeux à partir de récits, d’expertises et de pratiques.
Patrick Rollot – Histoire et patrimoine 17e
Patrick Rollot, président de Histoire et Patrimoine et membre de l’Association des Promeneurs de la Petite Ceinture, a ouvert la soirée avec un passionnant récit historique de l’infrastructure ferroviaire, couvrant plus de 150 ans d’histoire en quelques minutes. Sa présentation a décrit la succession des usages marchands et de voyageurs et l’évolution progressive jusqu’à la fin du service ferroviaire. Son analyse nous a permis d’éclairer les temporalités longues, invitant à considérer la Petite Ceinture comme une infrastructure régulièrement réinterprétée selon les régimes urbains successifs.
Arnaud Passalacqua – historien des transports et urbaniste, directeur de l’Ecole d’Urbanisme de Paris
Arnaud Passalacqua a d’abord partagé son constat d’un attachement fort à la Petite Ceinture, bien traduit par le très grand nombre de personnes présentes dans la salle. En se référant à l’image du « sparadrap du capitaine Haddock », il est allé jusqu’à présenter la Petite Ceinture comme une forme d’obsession récurrente dans les débats sur les transports à Paris. Pour analyser l’évolution et le statut actuel de la Petite Ceinture, Arnaud Passalacqua a mobilisé l’histoire des mobilités. Il a rappelé que la concurrence avec le tramway, le métro et le bus avait rendu le rail urbain obsolète, soulignant que « la mort de la Petite Ceinture en 34 » était liée à la motorisation et aux transferts vers d’autres modes. Comme prise de recul par rapport à l’objet, il a rappelé les ordres de grandeur concernant l’infrastructure ferroviaire nationale et la disparition de nombreuses lignes partout en France, en particulier dans des zones rurales faiblement dotées en transports collectifs. Réfutant l’idée selon laquelle la réintroduction sur la Petite Ceinture d’un service de voyageurs apporterait une solution à la saturation des transports collectifs à Paris, il a appelé à « réfléchir en termes de mobilité et de modes de vie, et non pas de transports ». Arnaud Passalacqua met ainsi en garde contre la tentation d’une « fuite en avant » de l’offre de transports, rappelant la « constance des budgets temps » (le principe selon lequel l’accès à la vitesse permet non pas de gagner du temps, mais de parcourir davantage de distances) et invite à renouer avec une autre histoire de la Petite Ceinture, celle de la ceinture maraîchère : « On peut en faire un espace qui, à la fois, serait circulable à pied et mangeable (...). Et donc juste accroître, finalement, ce qu'il est déjà en train de devenir. »
Antoine Sander – président et co-fondateur de l’Association des Promeneurs de la Petite Ceinture
Antoine Sander a partagé son regard associatif et militant sur la Petite Ceinture. Revenant sur la genèse de l’association des Promeneurs de la Petite Ceinture, il a insisté sur la double motivation animant ses quelques 200 membres : à la fois découverte d’un espace unique – à la fois trame écologique, urbaine, et culturelle – et frustration quant à l’approche fragmentaire des récents aménagements, qui fracturent la ligne. À l’inverse, les Promeneurs portent comme principale proposition la création d’une promenade continue le long des 32km que comporte la ligne. Le slogan s’ancre dans une stratégie d’interpellation publique : « le plus grand parc de Paris se cache sous nos yeux ». Antoine a ensuite insisté sur la nécessité d’« équilibrer » les désirs parfois contradictoires, appelant à éviter « des positions maximalistes » au profit de compromis construits. Il détaille leur proposition : « ouvrir les 20 kilomètres […] où les rails sont à l’air libre », et créer des promenades de surface sur les tronçons en tunnels, afin de « connecter les tronçons » et éviter la circulation en sous-sol, tout en rendant cette promenade accessible à toutes et tous. Cette prise de position articule continuité, écologie, histoire, et culture.
Valentine Diguet – ethnobotaniste spécialiste de la nature en ville
Valentine Diguet nous a dressé un état des lieux écologique de cet espace : « La Petite Ceinture constitue le deuxième espace parisien après le Père Lachaise avec le plus d'espèces végétales dans Paris, et en trois ans (...) il se trouve qu'on est passé de 257 espèces sur la Petite Ceinture à 461 ». Elle porte un regard scientifique et de passionnée sur cette biodiversité parisienne « c’est assez amusant de se prêter au jeu, d'observer cette flore qui évolue et qui est vraiment de plus en plus importante (...) On croise du maïs, du sarrasin, tout ça on pourrait le manger, on croise des fruits notamment des nèfles du Japon. » Valentine Diguet a aussi évoqué l’enjeu des tunnels, qui constituent des réserves de chauves-souris, tout en représentant un potentiel refuge pour les humains face aux futures vagues de chaleur. Elle nous a aussi rappelé la fonction de « corridor écologique » de la Petite Ceinture pour de nombreux animaux, en particulier les oiseaux. Finalement, elle invite à penser l’accessibilité dans une perspective d’équilibre entre humain et non humain, et souligne l’importance pour les habitants d’être « témoins du végétal » et « de préparer les générations futures à fréquenter le vivant différemment et à l'inclure dans notre patrimoine ».
Clara Simay – architecte, coopérative Grand Huit
Clara Simay regarde la Petite Ceinture sous l’angle de ses lieux. Sa coopérative d’architecture Grand Huit est spécialisée dans l’accompagnement des lieux, des collectifs d'habitants, des bailleurs sociaux ou des commanditaires publics dans la mise en œuvre de lieux avec une dimension écologique sociale importante. Clara Simay a évoqué la Petite Ceinture comme un « lieu de fraîcheur dans la ville », affirmant que ce sujet devient « une question de survie pour beaucoup d’entre nous », mais aussi comme un « lieu de liberté », par sa dimension « interdite, mais dont l’usage est toléré ». Pour pérenniser la création de lieux sur la Petite Ceinture, elle a insisté sur l’importance de dépasser la logique expérimentale pour stabiliser les projets et les inscrire dans la durée. Elle a ouvert une piste politique : penser la Petite Ceinture comme infrastructure climatique, support d’adaptation, et non comme simple promenade ou friche culturelle. Sa vision rejoint celle d’une ville de proximité fondée sur des îlots de fraîcheur accessibles en particulier aux publics vulnérables.
Table ronde 2 – Vision et engagements politiques
Une seconde table ronde, également animée par Vianney Delourme a réuni des représentant-es des différentes candidatures à la Mairie de Paris[1], invités à expliciter leur vision pour la Petite Ceinture, dans l’horizon de la mandature municipale à venir.
Avant le début de cette deuxième table ronde, Vianney Delourme a lu un courrier envoyé par la SNCF, propriétaire de l’infrastructure, afin d’expliciter le cadre juridique dans lequel s’inscrivait la discussion. Ce courrier rappelle que la Petite Ceinture « demeure un bien inaliénable » mais également que la SNCF a amorcé depuis 10 ans une coopération avec la Ville de Paris par convention, permettant à cette dernière d’ouvrir des promenades. La SNCF est également engagée dans un processus de valorisation des espaces ferroviaire adjacents aux rails, intégrés à la campagne « À l’orée de la Petite Ceinture », qui a vocation à se poursuivre avec l’ouverture de nouveaux lieux de vie tournés vers l’économie sociale et solidaire.
Analyse des positions politiques
David Alphand, représentant de la liste menée par Rachida Dati (Les Républicains)
La proposition portée par Les Républicains repose sur une logique de compromis. : David Alphand a d’abord rappelé que la Petite Ceinture est divisée en « trois tiers » : 10km de tronçons déjà ouverts à la promenade, environ 10km de tunnels et le reste de « zone grise », à aménager. L’approche proposée par les Républicains acte la coexistence durable avec l’infrastructure ferroviaire et renonce explicitement à « l’utopie d’une ceinture intégralement végétalisée ». Elle s’inscrit dans une vision opérationnelle : dépolluer les traverses (« première urgence »), accompagner la « reconquête » naturelle des talus, et faire des tunnels des espaces d’innovations sportives (par exemple, avec des terrains de basket 3x3, skate, paddle, badminton). David Alphand a critiqué le « bilan mitigé » des mandatures successives, rappelant qu’en 20 ans seulement une dizaine de kilomètres ont été aménagés. Son argumentaire mobilise aussi un registre institutionnel, évoquant l’importance d’une meilleure articulation avec la Région, politiquement alignée, dans le cadre du SDRIF, le schéma directeur de la région Ile-de-France. La biodiversité est un arrière-plan, mais pas le cœur structurant : l’objectif central est l’activation urbaine de friches et la transformation rapide d’espaces enclavés, dans une logique de grand projet métropolitain et régional, au-delà des frontières de la ville de Paris.
Jacques Baudrier, représentant de la liste menée par Ian Brossat (Parti communiste)
La ligne de Jacques Baudrier et du Parti Communiste part d’un diagnostic politique : la Petite Ceinture est « un des seuls espaces publics parisien […] qui a échappé au règne de l'automobile ». Jacques Baudrier a dans sa présentation articulé trois niveaux d’analyse : le rail, la biodiversité, la reconquête d’autres infrastructures parisiennes structurantes (voies sur berge, périphérique…). Le point important pour le Parti communiste reste la réversibilité ferroviaire : dans un contexte où « 9 % des marchandises » passent par le rail, déclasser serait « imprudent ». Il juge nécessaire de conserver l’utilité ferroviaire potentielle, dans un horizon climatique à 30–50 ans. Sur la biodiversité, il appelle à insérer la Petite Ceinture dans un réseau écologique régional plus vaste. Sa vision penche vers une approche systémique, articulant mobilités, climat, végétalisation et justice territoriale.
Dan Lert, représentant de la liste menée par David Belliard (Les Écologistes)
Dan Lert a structuré son intervention autour de deux menaces majeures : le bétonnage et la marchandisation. Il a évoqué les mobilisations victorieuses des écologistes contre la construction sur les talus et la création d’une SAS marchande et en faveur du développement de lieux écologiques et sociaux, comme le TLM et la Ferme du Rail. L’objectif est clair : faire de la Petite Ceinture un « corridor écologique » consolidé, voire une réserve naturelle. Il appelle à éviter « la disneylandisation de la Petite Ceinture » et refuse le retour du train au nom de la tranquillité des riverains et de l’intégrité écologique. Avec son regard d’adjoint à la mairie de Paris en charge de la transition écologique et du plan climat, il a rappelé que les tunnels constituent des « réserves de thermorégulation » indispensables face aux canicules à venir. Dan Lert a aussi proposé une lecture sociale de ces enjeux : l’importance de l’accès équitable aux îlots de fraîcheur dans les quartiers populaires. En matière de gouvernance, les Ecologistes proposent la création d’un Conseil de la Petite Ceinture, intégrant la SNCF, la Ville de Paris, les associations, les habitants etc. Sa ligne écologique est cohérente, assumant le primat de la nature et du bien commun sur les usages intensifs ou lucratifs.
Lamia El Aaraje, représentante de la liste menée parEmmanuel Grégoire (Parti socialiste)
Lamia El Aaraje, actuellement adjointe à la maire de Paris chargée de l'urbanisme, de l'architecture et du Grand Paris, a replacé la question de l’avenir de la Petite Ceinture dans le cadre du Plan Local d’Urbanisme bioclimatique et du « P300 », le plan de la ville de Paris pour 300 hectares d’espaces verts d’ici 2040. Lamia El Aaraje souhaite que la Petite Ceinture soit sanctuarisée comme espace vert protégé tout en assumant les contraintes juridiques, soulignant son expérience de négociation avec la SNCF. L’objectif affiché des socialistes est clair : « 10 kilomètres d’ouverture, avec un horizon réaliste de 5 à 7km sur la prochaine mandature ». Elle a insisté sur les enjeux de la sécurité des ouvrages d’art et leur financement. Comme les autres représentants des candidatures de gauche, elle inscrit la Petite Ceinture au cœur de l’articulation entre défis écologiques et enjeux sociaux :surfréquentation révélatrice du déficit d’espaces verts à Paris, exposition accrue des quartiers populaires au réchauffent climatique etc. Par rapport aux écologistes, sa posture est davantage « gestionnaire » : même position anti-bétonisation, faible croyance en un retour du train, mais plus de place aux compromis institutionnels et à la programmation financée dans la durée.
Catherine Ibled, représentante de la liste menée par Pierre-Yves Bournazel (Horizons)
Catherine Ibled a introduit son intervention par le rappel que « Paris est une des ville les plus dangereuse au monde face au réchauffement climatique ». Sa vision est d’abord centrée sur l’importance de « privilégier la nature », tout en ne prenant « aucune décision qui soit irréversible (…) Si la SNCF ou si les trains veulent revenir, il faut pouvoir avoir la possibilité de revenir en arrière.» En se référant à des inspirations internationales comme la High Line de New-York, elle s’est toutefois positionné en faveur d’une ouverture intégrale de la Petite Ceinture. Catherine Ibled a par la suite évoqué la question de la sécurité, pas encore abordée par les autres intervenants, évoquant un recours possible à l’intelligence artificielle pour surveiller les zones à risque, en particulier pour le confort et la sécurité des femmes. . La priorité est ainsi donnée à l’accessibilité sécurisée, pour lutter contre le sentiment d’insécurité et d’isolement. Elle défend ainsi une vision technophile d’un espace naturel connecté, protégé et aménagé, avec forte priorité à l’accueil des publics.
Roland Timsit, representant de la liste menée par Sophia Chikirou (LFI)
Roland Timsit a affirmé une position anti-marchande et municipaliste très claire : « C'est un bien commun écologique. Nous ne voulons pas que ce corridor écologique soit soumis à la marchandisation. Nous voulons qu'il soit 100% public, 100% gratuit, 100% accessible. Et pour ça, il faut une planification ». Les Insoumis proposent une ouverture complète des 32 km, mais avec coordination à l’échelle métropolitaine via une planification publique, et une priorité absolue donnée aux projets associatifs et de l’économie sociale et solidaire. Toutefois, Roland Simsit a partagé une position singulière, envisageant la Petite Ceinture comme support logistique pour le transport de marchandise sur le« dernier kilomètre » à certains horaires, pour réduire le trafic routier. La critique de la gentrification est très présente dans son discours : éviter l’appropriation marchande, les effets sur les prix du foncier et les rentes immobilières. Il a aussi rappelé les enjeux associés aux espaces verts, en particulier dans le 19ème, et la présence de personnes marginalisées et en situation de consommation de drogues. La Petite Ceinture est ici pensée comme une infrastructure du commun, outil de résistance contre les logiques spéculatives et les intérêts privés qui détériorent la vie des parisiennes et parisiens.
[1] Au 10 décembre, avant le ralliement entre les listes PCF, PS et Les Ecologistes.